
II. LE SOUVENIR DE CES EVENEMENTS DANS LA VIE ET LA FOI D'ISRAEL
UN SOUVENIR TRANSMIS DE PERE EN FILS
Le souvenir de ce départ restera gravé dans la mémoire des clans qui l'ont vécu. Il se transmettra oralement de génération en génération. Il sera raconté avec beaucoup de variantes dans les différents clans. Lorsque, plus tard, les clans sortis d'Egypte et ceux restés en Canaan se seront unis (Jos 24) , la sortie d'Egypte sera regardée comme un événement faisant partie de l'histoire de toutes les tribus. Tous, même ceux qui ne sont pas descendus en Egypte, partageront la foi en "Yahvé qui les a fait sortir d'Egypte". Croire à une histoire commune cela permet de consolider l'unité des clans aujourd'hui.
UN SOUVENIR RENOUVELE CHAQUE ANNEE
Dans chaque famille, la nuit de la première lune de printemps, on immolera un agneau. On marquera les montants de la porte avec son sang. Et quand les enfants demanderont : "que signifie pour vous ce rite ?", on leur répondra : "C'est le sacrifice de la pâque en l'honneur de Yahvé qui a passé devant les maisons des fils d'Israël en Egypte lorsqu'il a frappé l'Egypte, tandis qu'il épargnait nos maisons" (Ex 12, 26-28).
DES SOUVENIRS RASSEMBLES ET MIS PAR ECRIT
Après plusieurs siècles, Israël occupait la terre de Canaan. L'organisation des clans (ou tribus) était remplacée par les structures centralisées d'un royaume. La possession de la terre par certains et l'apparition d'une aristocratie liée à la royauté a mis en route en Israël un phénomène bien connu : l'enrichissement des riches et l'appauvrissement des pauvres. C'est au début de ce processus que des scribes, plus ou moins liés à la royauté, commenceront par mettre par écrit les traditions orales des différents clans. Parmi elles, la sortie d'Egypte tient une place de choix. Ces diverses traditions orales, puis écrites concernant la sortie furent rassemblées bien plus tard dans le livre de l'Exode, le deuxième dans notre Bible actuelle. C'est par ce livre que nous avons accès à la manière dont Israël était invité à se souvenir de son histoire.
UNE PRESENTATION DRAMATIQUE DES EVENEMENTS
Le livre de l'Exode nous présente les événements de façon dramatique. C'est ainsi qu'on les racontait quelques sept siècles plus tard. Une lutte sans merci est engagée entre deux partenaires, d'un côté Pharaon et ses hommes ; de l'autre, Moïse et son peuple. Mais la partie n'est pas égale. Avec Moïse et le peuple, il y a Yahvé.
Après la description de l'oppression des Hébreux (1, 8-22) , de l'appel de Moïse (2-4) , de la répression accrue (5, 13-6, 1) , le combat décisif s'engage. A dix reprises, le rideau va se lever comme pour une pièce de théâtre. Chaque fois c'est l'affrontement entre Moïse et Pharaon. Chaque fois, Pharaon refuse le départ des Hébreux. Chaque fois, une autre plaie frappe l'Egypte. La dixième plaie est décisive : c'est la mort de tous les premiers-nés d'Egypte. Le fils de Pharaon est frappé aussi. Non seulement Pharaon laisse partir les enfants d'Israël, mais il les chasse. En lisant ces chapitres sur les plaies de l'Egypte, nous voyons que c'est exagéré (Ex 7, 11-12, 51) . Mais il faut comprendre pourquoi l'imagination du peuple a ainsi amplifié un événement plus petit. Il s'agissait de bien montrer que la lutte de libération n'était pas facile, que Yahvé était engagé dans cette lutte et qu'il a mis tout en œuvre pour libérer son peuple.
Le livre de l'Exode nous montre aussi comment Yahvé s'est fait connaître dans son action de libération. Il révèle son nom à Moïse qu'il appelle (3, 1-6) . Le peuple saura que "c'est moi Yahvé qui vous ai soustrait aux corvées des Egyptiens" (Ex 6, 7) . Même Pharaon ouvre peu à peu les yeux. Au début il demande : "Qui est Yahvé à qui je devrai obéir en laissant partir Israël ?" (5, 2) . Puis il reconnaît : "le doigt de Dieu est là" (8, 15) . Enfin, il cède : "Levez-vous ! Partez ! Allez rendre un culte à Yahvé... et appelez sur moi aussi la bénédiction" (Ex 12, 31-32) .
A travers les âges, alors que l'oppression pèsera de nouveau sur le peuple de la Bible, celle des rois d'Israël, celle des classes dominantes, celle des souverains étrangers, le peuple se souviendra de Yahvé qui libère de l'oppression de Pharaon et espérera d'être libéré à nouveau. Nous regardons maintenant de plus près deux passages du livre de l'Exode. D'abord un récit de l'appel de Moïse, puis un récit de la victoire sur Pharaon.
ISRAEL SE SOUVIENT DE MOISE
Israël n'a pas pu oublier Moïse. C'était le père du peuple, comme Abraham était le père de la race. On a conservé, transmis et souvent embelli ce qu'on savait de lui. On croyait fermement que c'est Yahvé qui a libéré le peuple par Moïse son serviteur. On a donc essayé de se souvenir, de réactualiser et de réécrire les relations entre Moïse et Yahvé. Un des moments privilégiés de ces relations était évidemment l'appel par Yahvé pour libérer son peuple. Dans la première partie de ce chapitre nous avons montré comment aujourd'hui on peut s'imaginer la prise de conscience et la foi de Moïse. Maintenant nous regardons comment, plusieurs siècles après les événements, le peuple de la Bible lui-même se souvenait et se représentait l'appel de Moïse.
PAS DE MODELE TOUT FAIT DE LA RENCONTRE AVEC DIEU
Il faut d'abord signaler que le livre de l'Exode nous donne quatre récits différents de l'appel de Moïse par Yahvé. C'est un signe que les auteurs bibliques ont voulu garder tout ce qu'on savait par les traditions diverses des différents clans. C'est aussi un signe qu'on ne peut pas figer l'expérience de Dieu en une formule, même pas une formule biblique. A part le récit que nous citons, le livre de l'Exode donne donc trois autres textes de l'appel de Moïse :
1. Un texte datant approximativement du dixième siècle : celui du buisson qui brûle sans se consumer. Dans la bible ce texte est mêlé à ce que nous citons (Ex 3, 2-4, 5, 7-8) .
2. Un récit très ancien et mystérieux qui rappelle la lutte avec Dieu (Ex 4, 24-25).
3. Un récit plus tardif, écrit dans un milieu de prêtres et insistant sur l'alliance entre Dieu et le peuple (Ex 6, 2-13) .